mercredi 24 avril 2002

1er mai

Par Marc Blondel
Secrétaire général
de FO

La campagne électorale, pour le second tour de l'élection à la présidence de la République enjambe, cette année, le 1er mai.

Apparemment, pour le mouvement syndical et notamment à Force Ouvrière, cela n'a pas empêché les militants d'organiser des meetings et manifestations* pour la journée internationale des travailleurs, ce qui n'est pas le cas, au moins pour l'instant, de toutes les organisations.

Il semble nécessaire, au risque de donner l'impression de se répéter, de préciser que le 1er mai n'est pas la fête du travail ni celle du muguet; le 1er mai n'obéit pas à une démarche commerciale (comme la fête des mères ou la fête des pères, par exemple), mais il a été gagné, parfois dans le sang, par les travailleurs, ceux-ci refusant de travailler (d'être exploités) ce jour-là. Aux États-Unis, ils étaient salariés sous contrat à durée déterminée et les employeurs profitaient de l'échéance pour à la fois se débarrasser de certains d'entre eux et faire planer le risque du chômage, sans parler de la masse des salariés qui se louaient à la journée.

Peut-on dire que cette situation a beaucoup évolué?

Après avoir fidélisé les salariés dans les sociétés industrialisées lorsqu'il manquait de main-d'œuvre, le patronat démultiplie les emplois précaires et remet en cause, comme en Italie, les garanties de licenciement pour tendre, au nom de la mondialisation et de la concurrence, au licenciement «minute».

Après Chicago, c'est à Fourmies, commune industrielle du nord de la France, que la gendarmerie a tiré sur des jeunes travailleurs qui fêtaient pacifiquement l'événement en allant au bal.

Est-ce si loin?

Le 1er mai est donc l'occasion, pour l'ensemble des travailleurs, c'est-à-dire ceux qui vivent de leur travail, à tous les niveaux, local, national ou international, de marquer leur solidarité et leur confiance dans l'action et l'avenir de la classe ouvrière. Le phénomène de mondialisation devrait confirmer le rôle du mouvement syndical et sa capacité en la matière. La Confédération internationale des syndicats libres, qui regroupe plus de 155 millions d'adhérents sur l'ensemble du globe, démultiplie les initiatives et construit, avec obstination, l'instrument de solidarité dont les travailleurs, au niveau mondial, ont besoin.

Il y a quelques jours encore, avec l'aide de celle-ci, nous avons organisé le sommet franco-africain. Tous les syndicats d'Afrique francophone avaient envoyé leur responsable; ils ont notamment préparé leur participation active et de contrepoids au nouveau programme de développement pour l'Afrique (le NEPAD).

Il ne s'agit pas, sous prétexte de francophonie, de fractionner l'action collective, mais au contraire d'établir le maillage d'une action plus coordonnée afin de combattre le néocolonialisme économique.

Les derniers événements en Argentine et au Vénézuela démontrent que l'Afrique n'est pas le seul continent instable et nous ne pouvons que constater l'effet de nuisance des politiques et contraintes du FMI.

Le dernier conseil d'administration de l'OIT à eu à traiter de la Colombie où de nombreux syndicalistes ont été assassinés, ainsi que du cas du Myanmar où l'entreprise Total a bénéficié de l'activité de travailleurs forcés.

Ainsi, pour des raisons économiques, on déplace et on contraint, par la force, des êtres humains à travailler.

Le goulag et le STO ne sont pas loin.

Même si l'on analyse les causes du conflit du Proche-Orient, on se rend compte que les intérêts financiers utilisent, voire exaspèrent les antagonismes religieux, notamment à des fins d'asseoir l'hégémonie économique.

Les travailleurs n'aspirent qu'à la paix!

Ces questions ne se placent pas en dehors de nos préoccupations de salariés européens. Certes, les candidats à la présidence de la République les ont quelque peu négligées, au moins dans leurs interventions officielles, tout comme ils ont été peu prolixes sur l'Europe et sur sa dérive libérale; et, grosse faute, ils n'ont guère traité, au fond, les problèmes sociaux.

À titre d'exemple, nous n'avons reçu les réponses à notre interpellation sur les retraites après le sommet de Barcelone que le 19 avril après-midi.

Le résultat est là.

Sans nous immiscer dans le débat politique, il nous faut bien constater que les abstentions furent importantes (désintérêt ou protestation?), que les scores des tenants du pouvoir (président de la République et Premier ministre) sont médiocres, que l'extrême droite – avec le tandem Le Pen/Mégret – s'assure un résultat qui dépasse, et de loin, l'influence habituelle de ces extrémistes qui pratiquent la xénophobie, le racisme, l'antisémitisme et l'intolérance.

Le choc émotionnel est fort, et on le comprend.

Alors, les mêmes, faisant preuve d'amnésie, demandent au mouvement syndical de venir en aide à la démocratie et à la République.

Nous ne savons pas, au moment où je rédige ces lignes, quelles positions publiques nous pourrons prendre. Mais, d'ores et déjà, nous refuserons l'abandon de nos revendications, c'est le sens de notre communiqué.

Quant au combat contre les atteintes aux droits de l'homme, à la dignité, à la liberté, il est nôtre, journalier et en tout lieu, en France et au-delà. L'histoire du mouvement syndical Force Ouvrière peut s'honorer de la résistance durant la guerre, de l'indépendance de l'Algérie, du refus du sénat économique et social.

Au-delà des mots, nous avons toujours refusé de nous coucher devant l'autorité et le diktat. Cette fois encore, nous ne faillirons pas.

* 43 manifestations en 2002